l’expérience intérieure – penser dedans

60’ (2019)  avec jean-luc nancy

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penser le dedans du corps conduit à penser dedans :
à ressaisir ce corps dont l’épaisseur nous fixe dans le monde et nous expose aux autres corps, corps à corps, bord à bord. ici, jean-luc nancy observe les images que lui tend philippe poirier. images et pensée se répondent en contrepoint dans une expérience intérieure qui rencontre l’âme au plus vif comme au plus périssable des chairs. « être mortels configure notre accès à l’infini, et c’est sur ce fond d’infini que nous sommes ensemble. »

 

Entretetien avec Nathan Letoré, pour le journal du FID Marseille 2019

Votre film est construit autour de la parole de Jean-Luc Nancy. D’où vient l’envie d’aborder ce thème particulier avec ce philosophe ?

Elle vient de très loin, sans doute de la lecture des nombreux écrits de Jean-Luc Nancy sur ce sujet et plus précisément de ce livre vertigineux qu’est Corpus. Je ne voulais pas faire un film sur le corps mais un film qui passe par lui, notamment par l’intérieur du corps. Il y a là une contingence avec laquelle il nous faut négocier notre existence tant individuelle que collective, et qui nous fait nous demander ce que penser ce corps intérieur peut nous dire de notre présence exposée.
Disons simplement que plonger son regard dans l’intérieur du corps, c’est prendre le chemin le plus court pour penser la vie et la mort, et avec Jean-Luc Nancy c’est avant tout la vie.

 

La parole de Jean-Luc Nancy est montée avec des extraits de films montrant l’intérieur du corps, auxquelles il semble parfois réagir. Quel a été le dispositif de l’entretien ? Comment a été menée la conversation avec ce philosophe ?

Ce film est directement issu de deux conversations filmées que nous avons eues, Jean-Luc Nancy et moi – et quand je parle de conversation, je précise tout de suite que, n’étant pas philosophe, c’est avec des images que je me suis adressé à lui et c’est à partir d’elles qu’il a bien voulu me répondre.
Un premier entretien de deux jours a donné lieu à une première version où paroles et images montées ensemble ont fait l’objet d’un second entretien, au cours duquel Jean-Luc Nancy commentait ou précisait certains des points abordés dans le premier entretien et en explorait de nouveaux. Nous nous sommes arrêtés là, mais nous aurions pu très bien continuer.

 

Les images de film viennent de sources très diverses : documentaires, films scientifiques, films de fiction… Quels ont été vos critères de sélection pour ce corpus ?

En amont du film, les images se devaient d’être suggestives, propices aux commentaires, mais elles étaient également la promesse d’une pensée « sans paroles ». En aval, c’est-à-dire au montage, ces images sont insérées dans les propos du philosophe et parfois de nouvelles images viennent y répondre. Dans les deux cas, elles sont « une présentation sensible des idées ». Elles déclenchent une série d’analogies, de souvenirs, d’émotions, de représentations mentales travaillant ensemble pour nous faire imaginer ce que l’on voit, et ce sous une autre forme de langage que celle que l’on entend dans les commentaires du philosophe.

 

Voyage en Italie de Rossellini tient une place matricielle dans le dernier mouvement de votre film : d’abord de manière très immédiatement liée au sujet des corps, puis en s’émancipant peu à peu de ce sens. D’où vient l’importance de ce film dans votre montage final ?

Vous pointez cette séquence et vous avez raison car c’est là précisément que le film libère ses « images de pensée ». C’est la première séquence que j’ai montée et je n’ai rien pu y changer tout au long du montage.
Alors que nous venons d’entendre Jean-Luc Nancy déplier la psyché comme « vie en tant que forme », Ingrid Bergman s’effondre à la vue du moulage en creux des vides laissés par les corps de deux amants désintégrés sous les cendres de l’Etna.
Elle s’éloigne alors, cherchant la sortie, et Georges Sanders la suit. Quelques pas les séparent. On les voit descendre par un escalier dans une sorte d’excavation où s’amoncellent un grand nombre d’amphores, vision presque organique d’un corps anatomisé. On assiste alors à une chorégraphie subtile où deux âmes s’accordent, se règlent l’une à l’autre, Ingrid Bergman ralentissant ses pas pour se laisser rejoindre par Georges Sanders, deux âmes attentives, deux consciences aimantes qui se cherchent dans le mouvement de leurs corps, à même la matérialité du décor pompéien. N’est-ce pas l’image de ce que pourrait être l’adhérence de l’âme au corps dont parle Jean-Luc Nancy dans ce film ?