à la campagne, un retour aux sources ?
2017
montage d’images d’archives provenant de la cinémathèque mira
réalisé en collaboration avec odile gozillon- fronsacq
musique roméo poirier
1 – une enfance à la campagne
la guerre est finie.
au fur et à mesure que l’on remonte les pâles chemins de la mémoire, l’espace s’ouvre. c’est celui de notre enfance, celui où le ciel était si grand et l’eau si étincelante.
il fallait aller vérifier si tout ce monde existait bien encore et ne s’était pas effondré comme le reste, s’assurer que nos parents, nos paysans, faisaient encore les gestes simples de notre subsistance, ceux que les privations nous avaient fait oublier.
c’est une sensation confuse remplie d’images du passé. pour certains, ceux des villes, ce sentiment s’appelle « la campagne » et évoque les chemins longeant les champs de blé, la chaleur blanchâtre des mois d’été ou le silence animal des cours de ferme, le vrombissement des mouches, le caquètement hésitant des poules, le long bâillement d’un chien et, l’hiver, le souffle des bêtes retenues dans l’obscurité des étables…
… et toutes ces odeurs qui nous reviennent ensuite par surprise comme des petites musiques familières.
2 – le vent de la liberté
c’est un élan collectif qui a presque l’allure d’un rituel. à pied, à vélo, en voiture, en bande, en famille, les gens déferlent dans la campagne.
le front populaire et les premiers congés payés ne sont pas si loin.
ils pique-niquent, s’amusent et respirent le vent de la liberté avec la même joie et avec une fantaisie qui s’improvise naïvement devant les caméras amateurs.
3 – le rêve moderne
c’est comme un songe, un air nouveau et entêtant, une mélodie du bonheur qui trouve son objet dans les vitrines des magasins.
il y a, pour une grande majorité des gens, une coïncidence peut-être unique dans l’histoire entre un rêve et sa matérialisation.
il est possible d’accéder à ce qu’on appelle la modernité et d’en acquérir les instruments dont les noms et les marques frappent l’imagination.
4 – le rustique lointain
tout est si nouveau, si enthousiasmant, si difficile encore à réaliser.
est-ce qu’aujourd’hui nous nous souvenons d’avoir relevé à l’époque qu’il y avait ces marques d’apéritif sur les motos du tour ?
un nouveau style de vie s’invente et s’invite dans chaque foyer. les fêtes, les vacances ou les voyages deviennent des loisirs de masse : tout le monde fait la même chose, mais séparément.
et la campagne ? on l’avait oubliée. elle ressurgit au hasard d’un voyage. on la filme. elle est le pittoresque. elle revient d’un ailleurs teintée d’exotisme.
5 – de la campagne au sentiment de la nature
tout devient exotique, même les traditions.
les petites filles/fleurs ou champignons rendent hommage aux elfes de la forêt.
la vie dans les bois en socquettes blanches et jupes coroles est une version tendre et perdue du mythe de la nature inspiré de romantisme tardif, loin de l’extase poétique des anciens que les adultes espèrent retrouver à travers la grâce et la maladresse naturelle de l’enfance.
les paysans eux-mêmes ne sont plus sûrs de leur authenticité.
le vigneron boit typiquement, les outils de la ferme sont « rétro », on fait les foins, les vendanges ou le pain « comme autrefois ».
reste le sentiment d’une nostalgie diffuse flottant dans les rêves lointains de notre enfance.
les petits enfants qui ont encore au village des grands-parents connaissent le monde endormi des remises, la scie à ruban géante du hangar à bois, les endroits secrets d’un jardin et la proximité extravagante des poules et des taureaux.
pour les autres, c’est la balade du dimanche. mais sous ces apparences anodines, et parfois à l’insu des grands, c’est l’éveil du regard et l’expérience du poème.
l’idée de la campagne s’est réfugiée dans le sentiment de la nature – une nature merveilleuse et fantasmagorique.
texte de philippe poirier
à la campagne | 16’50