1518 la fièvre de la danse

musée de l’œuvre notre-dame à strasbourg
du 20 octobre 2018 au 24 février 2019
commissaire : cécile dupeux

exposition sur l’épidémie de danse collective qui ébranla la ville de strasbourg en 1518.

photos sylvie lerdung

Dead can dance

novo n°51 oct/nov 2018 – entretien avec valérie bisson

Transes universelles, contamination à l’ergot de seigle, épilepsies contagieuses, catharsis collectives, rave party, hallucinations ou autres possessions mystiques… Autant de pétages de câble communautaires qui ont marqué l’histoire de leur mystère et qui continuent à échapper définitivement à la raison. Mis en lumière l’année passée avec le livre de Jean Teulé, Entrez dans la danse (Julliard), le singulier événement strasbourgeois de 1518 est aujourd’hui disséqué par le musée de l’Œuvre Notre-Dame. L’exposition 1518, la fièvre de la danse, qui se tient du 20 octobre 2018 au 24 février 2019, approfondit l’exploration de cette insondable énigme et expose une documentation variée. Pour inaugurer cet événement, le chorégraphe Mark Tompkins, la Cie dégadézo et les musiciens Rodolphe Burger et Philippe Poirier proposent une performance collective sur la place du Château, en coproduction avec PÔLE SUD – CDCN de Strasbourg et le CIRA. Philippe Poirier revient sur ce processus particulier de création.

Vous signez la musique de l’inauguration de l’exposition mais aussi la scénographie et les très belles fresques qui illustrent le parcours de 1518, la fièvre de la danse. Quel est votre regard sur cet évènement qui a 500 ans ?

J’ai d’abord eu beaucoup de plaisir à me plonger dans cet univers, et notre travail en commun avec la commissaire de l’exposition et conservatrice du Musée de l’Œuvre Notre-Dame, Cécile Dupeux, m’a permis de mieux connaître des dessinateurs exceptionnels comme Urs Graf, Israhel Van Meckenhem, Niklaus Manuel et, bien sûr, Hans Baldung. Il y avait à cette époque à Strasbourg une grande effervescence autour de la production d’images. Un imprimeur comme Hans Grüninger, chez qui j’ai puisé une bonne partie des dessins, a édité quelques 300 ouvrages entre 1480 et 1520. En observant de près ces gravures, j’ai décidé d’en agrandir certaines et de les peindre en fresques colorées sur les murs de l’exposition. Elles montrent ainsi l’extraordinaire beauté de leur trait et livrent un inconscient visuel flottant sur toute l’exposition qui pourrait bien, même si nous en savons peu de choses, coïncider avec celui des danseurs dont nous voulons parler.

Face à cette puissance de vie, la mort est omniprésente au Moyen Âge, elle est familière. Ne serait-ce pas ce qui s’exprime dans ce phénomène de transe débridée et inexpliquée ?

Le recours à la danse est un fait courant à cette époque. Toutes les occasions sont bonnes. Même la mort se danse. On danse pour fuir les contraintes sociales, culturelles ou privées. Danser est un allègement et permet d’échapper au monde, à la morbidité. Les gens touchés par cette épidémie semblent fragiles et démunis. Ils ont une grande réceptivité et sont décrits comme souffrants, le regard perdu, absents à eux-mêmes, agités de mouvements désordonnés. Il y a une grande différence entre remuer son corps et danser – qui veut dire se mouvoir sur un rythme à l’aide de figures codées. Ici, il s’agit d’une force vitale qu’on ne sait plus maîtriser car le Moyen Âge n’est déjà plus une société primitive. On a perdu les codes et les rituels prenant en charge les énergies individuelles. On les retrouvera in extremis dans la religion en plaçant les danseurs sous la protection de saint Guy.
Est-ce le propos de la danse inaugurale ?
Mark Tompkins, avec la Cie dégadézo, a mis en place 4 ateliers d’improvisation avec une cinquantaine de danseurs où cette danse désordonnée a été pensée et réfléchie. Il fallait à la fois laisser la place à cette démesure solitaire tout en l’inscrivant dans un espace qui reconstruit finalement une autre forme de communauté (de solitaires).

Comment interviendrez-vous au niveau musical ?

Nous préparons, avec Rodolphe Burger des séquences musicales à partir de samples électroniques que nous mixerons aux énergies croisées de nos deux guitares électriques (ce dernier élément étant expressément la commande de Mark Tompkins pour cette performance). Ce ne sera évidemment ni une rave techno, ni une danse du Moyen Âge mais une composition qui s’improvisera selon l’évolution de l’ensemble, donnant la mesure ou au contraire s’échappant de toutes contraintes rythmiques. Nous ne savons pas du tout comment cela va se dérouler, quel niveau d’intensité nous allons atteindre, ni comment cela va se terminer. L’idée n’est pas de restituer l’événement de 1518, mais plutôt de rendre visible quelque chose de l’ombre qui se porterait à la lumière.

performance donnée à l’occasion de l’inauguration de l’exposition 1518 la fièvre de la danse

musée de l’œuvre notre-dame à strasbourg
60 danseurs + mark tompkins & la cie dégadézo
musique rodolphe burger & philippe poirier

la fièvre danse - philippe porier

© benoît finck