instants anonymes
musée d’art moderne et contemporain de strasbourg
2008
commissaire : sylvain morand
regarder quelque huit cents photos, de petit format pour la plupart, est une épreuve pour la concentration.
il fallait donc concevoir un événement visuel et sensoriel qui accueille les visiteurs et les accompagne tout au long de la lecture de cette folle accumulation.
il fut décidé de répartir, dans les sept salles de l’exposition, les photos par thèmes, en les regroupant en séries, fixées à même les murs peints de couleurs vives et tapissés sur toute leur hauteur de reproductions agrandies et colorées.
les agrandissements, réalisés sous la forme de papiers peints et appliqués comme tels par lés de 45 cm de large, perdent ainsi leur statut de photographies et deviennent des objets visuels. leur taille démesurée produit un effet de lisibilité spectaculaire et invite les visiteurs à un regard collectif, partageable.
cet « objet » photographique fait le premier pas.
le visiteur peut alors effectuer le second, plus solitaire, plus intime, et s’approcher des originaux. il entre alors dans la richesse des matières, distingue la variété des papiers et du piqué. il découvre des nuances inconnues, des lieux, des personnages dont les sourires voilés se sont déposés en fines traces sur le nitrate argenté et qui nous regardent de si loin. saisi par l’étrangeté de ce qui fut, il rencontre le « sujet ».
ces clichés, pour la plupart noir et blanc, viennent d’une époque qui parfois excède notre propre expérience du temps. tout autour, les couleurs sont le hors-champ de ces prises de vue d’un monde où pourtant elles étaient présentes. elles affluent par vagues rutilantes et soulèvent hommes, chevaux, voitures, qui se mettent à flotter en désordre à la surface de notre regard contemporain.
il fallait bien ce déploiement coloré pour conjurer ce que chacune de ces petites fenêtres fait s’enfuir au fond du temps. mais il le fallait aussi pour célébrer, de salle en salle, comme on le ferait dans un temple moderne, la beauté et la joie de vivre que nous adressent ces jeunes visages parfois plus que centenaires, avec le même aplomb que ceux qui s’affichent sur les écrans de nos téléphones portables.
texte de philippe poirier